L’aménagement hivernal, un terrain glissant

L’hiver tire à sa fin et le confinement a certainement permis de saisir davantage les plaisirs du climat hivernal. Quand on a le temps de contempler la nature, on se rend compte que le climat varie beaucoup et que l’on a aucun contrôle sur ses changements. C’est une fatalité! Mais peut-on en tirer profit ?

Quoique les questions de mobilité peuvent avoir été moins dérangeantes pour certains en raison du télétravail, la question des activités et des passe-temps, de la proximité des espaces extérieurs ainsi que de l’adaptabilité de nos logements face à la saison froide ont été commentées par plusieurs. Dans cette première partie de la série Nordicité du Blog RayLabo, nous avons cru important d’aborder la question de l’expérience et du vécu des résidents urbains en hiver. Alors que la saison froide s’installe sur la métropole plus de quatre mois par année depuis belle lurette, il est surprenant de constater à quel point les Montréalais sont peu adaptés à la saison, et même l’appréhendent. Les Montréalais et l’hiver, c’est un peu comme l’autruche qui a la tête dans le sable. L’hiver est présent, mais on fait comme s’il n’existait pas. Cette année, en raison de la pandémie, les Montréalais ont été ralentis dans leur routine hivernale habituelle, permettant à plusieurs de profiter davantage des activités que la métropole peut offrir. Par contre, ils ont aussi eu le temps de se questionner sur tout ce dont elle est dépourvue en hiver.

 

Le quotidien vs. l’occasionnel

Il est difficile d’expliquer pourquoi en hiver, tout semble plus compliqué, plus difficile et moins attrayant. Par contre, d’autres activités ciblées sont alors exceptionnelles. On peut diviser notre temps pendant l’hiver en deux catégories: le quotidien et l’occasionnel. Explication. Pour le quotidien, il y a des choses qui doivent être faites, peu importe la saison, comme aller faire l’épicerie, se déplacer d’un point A au point B, que ce soit à pied, en voiture ou en vélo, et pour certains même se stationner.  Il y a également l’occasionnel, soit la sortie à la patinoire la fin de semaine, le ski de fond ou les longues marches dans les parcs de la ville, les festivals hivernaux et autres. Finalement, il y a l’entre-deux, qui est trop courant pour constituer une occasion: les marches du soir dans le quartier, prendre un verre avec des amis ou des collègues, s’arrêter pour un café sur une terrasse ou profiter d’un espace extérieur comme une cour ou un balcon. Montréal regorge d’activités et d’innovations en ce qui a trait à l’occasionnel. En matière d’activités et d’évènements, la ville rayonne auprès d’autres villes nordiques, avec ses nombreuses patinoires aménagées, ses circuits de ski de fond dans les grands parcs, les glissades aménagées, etc. Montréal s’efforce même à conserver sa réputation de la ville des festivals avec des versions hivernales comme IglooFest, Nuit Blanche, Luminothérapie, etc.

Photo tirée de l’article ‘’Une Ville de Glace’’ paru dans La Presse le 4 février 2015

Par contre, il a encore du travail à faire pour faire de Montréal une ville qui se démarque davantage en hiver sur le plan du quotidien. Trop d’activités courantes deviennent difficiles, tout simplement désagréables, voire impossibles à réaliser.

C’est comme si, en hiver, tout est déplaisant lorsqu’on sort de chez soi, sauf si on prévoit faire une activité spéciale. Les petites choses du quotidien, comme se déplacer à vélo ou être assis au soleil, un breuvage à la main, ne sont pas agréables comme en été, mais deviennent plutôt des défis. Par exemple, pourquoi est-il impossible de faire plus de 5 km en ski de fond sur l’Île sans tourner en rond alors qu’il y a des centaines de pistes cyclables? Où sont passées les buttes de neige dans les cours d’école et les petits parcs? Ce n’est pas comme si on en manquait, de la neige! Et si les caractéristiques propres à l’hiver pouvaient être exploitées? Par exemple, les heures d’ensoleillement réduites pourraient être une occasion pour expérimenter davantage avec différents types d’éclairage à travers la ville. Des jeux de lumière un peu partout dans les quartiers, au lieu d’être uniquement concentrés à un endroit pour un évènement, pourraient contribuer à l’embellissement de la ville. Alors qu’on est entouré de neige sale, de sel à déglaçage et que les arbres feuillus ont perdu leurs couronnes, pourquoi ne pas intégrer davantage de conifères dans l’aménagement des rues pour conserver du vert et se protéger du vent?

Toutes ces idées sont possibles, et la Ville pourrait mettre les efforts équivalents à ceux déployés l’été pour rendre notre cité plus agréable. Il ne s’agit, en fait, que d’une question d’aménagement!

Justement, il y a lieu de se questionner sur la pertinence d’avoir rendu ces rues et artères aux piétons pour la belle saison, mais de décider de démanteler l’entièreté des installations qui ont permis cette occupation vivante, humaine et distanciée une fois l’hiver à nos portes. Alors que la deuxième vague nous submergeait, nous nous retrouvions, comme avant la pandémie, à nous bousculer sur des trottoirs encombrés d’amas de neige et de glace. Selon quel principe les rues devraient-elles être moins disponibles aux piétons (et cyclistes, de grâce) lorsque la neige se met à tomber? Imaginez les rues qu’on aurait pu avoir si on avait tout laissé en place.

Photo de l’avenue piétonne Mont-Royal 2020, courtoisie de Société de développement de l’Avenue du Mont-Royal, imaginée en hiver par Rayside-Labossière

 

C’est vraiment pendant l’hiver que l’on voit le plus clairement l’espace superflu accordé aux voitures. Pourquoi se priver de ces aménagements, pour lesquels on travaille si fort en été, lorsque la saison froide arrive? Gardons ces voies piétonnes, ajoutons-y des aménagements adaptés à l’hiver: terrasses à l’abri du vent, espaces extérieurs chauffés naturellement ou artificiellement, bancs orientés au soleil et plus encore. À chaque ruelle verte, sa ruelle blanche! Honorons les rues piétonnes été comme hiver, laissez-nous imaginer des placotoires adaptés à l’hiver!

 

Ruelle Gaspé-Henri-Julien/Guizot-Jarry Hiver 2021, courtoisie de Jazz Kdu, photographe

 

La question du déneigement

La question du déneigement peut être abordée de plusieurs angles: devrions-nous cesser/réduire de considérer le déneigement comme prioritaire, puisqu’il profite principalement à la circulation des véhicules, ou devrions-nous déneiger davantage sachant que la neige et la glace sont les principales barrières à la mobilité des citoyens en hiver? 

En effet, le déneigement en ville est nécessaire pour l’accessibilité de tous. Cette question fait écho à l’enjeu des déplacements urbains quotidiens en hiver, puisque, évidemment, les déplacements sont plus ardus lors de cette saison. Par contre, si le déneigement amène son lot de problèmes, comme les quantités astronomiques de sels ainsi que la logistique et les coûts des opérations, il permet aussi aux populations plus âgées, moins ou pas mobiles du tout, aux parents et jeunes enfants, aux populations dépourvues qui dépendent des déplacements à pied ou en transport en commun, de se déplacer en hiver. Malgré le désir de voir réduire l’importance du déneigement en hiver pour s’adapter davantage à l’essence même de l’hiver, malgré le désir de vivre en harmonie avec la nature et de cesser de vouloir à tout prix recréer des conditions d’été en hiver, il apparaît évident que le déneigement fait partie intégrante de la réalité urbaine. Il faudrait améliorer celui-ci pour qu’il profite davantage aux piétons, d’abord et avant tout, et que le focus de ces opérations ne soit pas dirigé seulement aux véhicules routiers. Amenez-en des trottoirs chauffés, couverts aux intempéries, des axes piétons ou des ‘’pocket parks’’ orientés au soleil, et des solutions pour améliorer l’expérience quotidienne de mobilité des piétons. Cela augmenterait de beaucoup la qualité de vie des citoyens en hiver.

Malgré le désir de plusieurs de voir disparaître les voitures en ville, ce n’est tout simplement pas  réaliste. La place que celles-ci prennent en ville est considérable et on le remarque particulièrement en hiver avec tout le budget et les opérations de déneigement qui y sont consacrés. On parle de 177.8 millions de dollars pour l’année en cours seulement pour le déneigement. Pour donner un comparatif, selon le Budget 2020 et PTI 2020-2022 de la Ville de Montréal, le budget alloué au logement social et autre en 2020 était de 2.9% du budget global, le même que celui alloué à l’enlèvement de la neige. Est-ce un trop grand montant d’argent qui est consacré à la mobilité en hiver ou trop peu réservé au logement social?

Se pourrait-il entre autres que la façon dont nous entretenons nos espaces soit davantage dictée par les impératifs logistiques et syndicaux (lire la voirie) que par l’usage préconisé ou visé? Autrement dit, changer notre façon d’aménager nos voies piétonnes, cyclables et routières exigerait aussi des changements du côté des pratiques et du savoir-faire de l’industrie, possiblement même d’acquérir de l’équipement que ces acteurs ne semblent pas prêts à opérer.

On pourrait aussi continuer en abordant la question de l’accès et du partage des voies, laquelle est la même pour tous les modes de transports qui s’affrontent finalement toujours à l’automobile. Peu importe la saison, il subsiste un biais favorable envers les voitures, à qui un accès pratiquement illimité en tous points de la ville a été octroyé et rendu possible en mettant en place un système routier omniprésent et dominant. Ce paradigme doit être remis en question si l’on veut que les ressources et efforts soient dirigés de manière proportionnelle vers les autres moyens de transport urbains, lesquels, il est pertinent de souligner, sont utilisés principalement par les résidents locaux, alors que ce n’est pas le cas pour l’automobile.

Cela doit-il se faire par une hiérarchisation des artères, par le fait même une certaine ségrégation des usages, ou bien par un design et des aménagements urbains qui incitent au respect entre modes de transport, tout en favorisant un environnement sécuritaire? Nous laisserons le soin aux chercheurs et acteurs du milieu de répondre.

 

Les autres modes de transport en hiver

Malgré la nécessité des transports routiers en ville l’hiver, il y a toujours possibilité de se tourner vers d’autres modes de transport. Bien sûr, la marche et le vélo en sont deux bien connus en été, mais le nombre de personnes qui s’y consacrent en hiver est fortement diminué. Pourtant nous avons un réseau de voies actives et de voies express de vélo (REV) surutilisées en été, mais celles-ci sont souvent réduites, voire complètement barrées en hiver, pour permettre davantage de stationnements. Rêvons un peu. Et si ces voies pouvaient servir de pistes de ski de fond ou sentiers glacés pour se déplacer à travers la ville en patins? Il serait tellement pratique et amusant de tenter d’adapter nos modes de transport à l’hiver!

Rendu du Edmonton Freezeway par Matt Gibbs

 À titre d’exemple, le Edmonton Freezeway, un concept de 11 km de voies glacées sillonnant la ville, permettrait de se déplacer à l’aide de ses patins à travers la capitale albertaine. Le concept a gagné la première place au concours de design international Coldscape, et est comparable aux circuits glacés de 8 km du Canal Rideau à Ottawa ainsi qu’au 9 km du Fork on the Red River à Winnipeg. Par contre, le Freezeway serait un parcours glacé artificiel. Un concept similaire pourrait aisément être implanté à Montréal. Aux intersections, on retrouverait un recouvrement de caoutchouc qui pourrait être installé et ensuite enlevé au printemps (tel que proposé dans le projet du Freezeway), et le parcours glacé rejoindrait les stations de métro où des patins pourraient être loués ou barrés pour la journée, l’équivalent d’un support à vélos ou Bixis. 

En attendant des avancées sur ces idées créatives, on peut tout de même tenter de faire en sorte que les réseaux existants de vélo et les trottoirs soient praticables en hiver, ce qui serait la moindre des choses. Un bon début serait que des critères de qualité soient maintenus pour ces voies de circulation, au même titre que pour les voies de circulation des voitures. Après tout, si on souhaite davantage donner priorité aux piétons et aux cyclistes dans l’aménagement des villes, il faudrait que cette volonté soit aussi transposée dans les processus de déneigement.

Comme on l’a mentionné plus tôt, une grande partie du budget de déneigement est dirigé au réseau routier, et non piéton ou cyclable. Plusieurs diront que comparativement à Toronto, ou d’autres grandes villes canadiennes comme Edmonton ou Calgary, où la majorité des trottoirs ne sont pas déblayés en hiver et qu’il en est de la responsabilité des propriétaires, Montréal fait bonne figure avec ses trottoirs majoritairement déneigés et son réseau cyclable 4 saisons. En effet, Montréal a fait beaucoup de progrès ces dernières années. Par exemple, dans l’arrondissement de Rosement-La-Petite-Patrie, le budget consacré au déneigement des voies cyclables a été augmenté de 68% entre 2020 et 2021. C’est plus ou moins 50 km de voies cyclables, une hausse de 35 km comparé à l’année antérieure. C’est 26% du budget total de déneigement qui est alloué aux voies cyclables, donc encore une majorité (74%) du budget qui est alloué indirectement aux automobilistes. Pourquoi les changements sont-ils si lents à arriver? Il faut repenser notre relation à l’hiver et à la mobilité. Dans les quartiers les plus denses, il est illogique que la majorité des gens se déplacent encore en voiture, faute d’alternatives. Tous les efforts qui sont mis dans les modes de transport actif en été devraient être pensés pour l’hiver, et ce à parts égales. Les voies cyclables créées à Montréal sont un énorme sujet de débats et il n’est pas faux d’affirmer que celles-ci sont coûteuses en argent et en espace. Optimisons-les et utilisons-les à leur plein potentiel! Elles devraient être entretenues en hiver, respectant le même niveau de qualité que pour les routes. Des villes comme Oulu, en Finlande, qui reçoivent environs les mêmes quantités de neige et ont des températures similaires y arrivent, pourquoi pas nous? Le réseau cyclable à Oulu est respecté et entretenu avec un enthousiasme quasi supérieur à celui pour les voies routières. Un fait intéressant de cet entretien est que les pistes cyclables ne reçoivent pas de sel à déglacer. Une mince couche de neige résiduelle compactée est plutôt favorisée, celle-ci créant une bonne surface d’adhérence pour les pneus des vélos.

 

Photo tirée de l’article »Meet the bike-loving Finnish city that keeps pedalling even in the snow » paru dans le EuroNews le 25 janvier 2021

 

Il a aussi été prouvé que la quantité de cyclistes en hiver n’est pas liée aux températures froides ou à la quantité de neige, comme plusieurs le croient, mais bien à la qualité des aménagements. Ceux-ci doivent être sécuritaires et agréables. La même chose est vraie pour les voies piétonnes. Il nous faut repenser ces espaces et voies de circulation pour qu’ils soient adaptés à l’hiver et qu’ils redonnent envie aux Montréalais de sortir dehors.

Toutes ces réflexions sur l’hiver seront probablement oubliées dans les prochains mois, alors que le printemps commence à se faire sentir. Nous aimerions donc vous laisser mijoter sur tous les aménagements qui vous apportent du bonheur et de la fierté pour notre ville en été, et tenter de vous demander comment ceux-ci pourraient être adaptés pour l’hiver prochain. Peut-être avons-nous tenté de mettre l’hiver de côté depuis trop longtemps et qu’il est maintenant venu le temps de l’apprécier autant que l’on apprécie l’été.

 

Le prochain article du Blogue RayLabo se penchera sur les microclimats et le cadre bâti tout dépendamment des saisons, et proposera des solutions de design pour profiter davantage, entre autres, de la saison froide. Vivement l’hiver prochain!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sources:

Corriveau, Jeanne. “L’opération de déneigement devrait s’étirer jusqu’à la semaine prochaine à Montréal.” Le Devoir, 11 février 2020. https://www.ledevoir.com/politique/montreal/572663/montreal-le-deneigement-prendra-plus-de-temps-que-prevu#:~:text=Le%20co%C3%BBt%20de%20cette%205e,plus%20que%20l’ann%C3%A9e%20pr%C3%A9c%C3%A9dente.

Luxen, Micah. “Canadian ‘Freezeway’ Could Let Residents Skate to Work.” BBC, 23 février 2015. https://www.bbc.com/news/magazine-31581592.

Magalhaes, Zoe. “Rosemont-La Petite-Patrie Investit Pour Le Déneigement Des Pistes Cyclables.” Journal Métro, 9 octobre 2020. https://journalmetro.com/local/rosemont-la-petite-patrie/2534890/rosemont-la-petite-patrie-investit-pour-le-deneigement-des-pistes-cyclables/

Steensig, Sara Lilja. “Meet the bike-loving Finnish city that keeps pedalling even in the snow” EuroNews, 25 janvier 2021. https://www.euronews.com/2021/01/22/meet-the-bike-loving-finnish-city-that-keeps-pedalling-even-in-the-snow

Why Canadians Can’t Bike in the Winter (but Finnish People Can)YouTube, 2021. https://www.youtube.com/watch?v=Uhx-26GfCBU.

Ville de Montréal. Direction générale et Service des finances. Budget 2020 PTI 2020-2022. Un budget pour vous. Montréal. 2019. http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/SERVICE_FIN_FR/MEDIA/DOCUMENTS/BUDGET_2020_PTI_2020_2022_FR.PDF