Les microclimats aménagés: imaginer la ville pour vivre pleinement les entre-saisons

Malgré qu’on envisage un réchauffement des températures moyennes lié aux changements climatiques, il reste impossible de contrôler ou de modifier les variations du climat à notre aise. Au mieux on peut les mitiger ou les atténuer pour accommoder nos activités. En milieu nordique, comme la majorité du territoire québécois, la réaction aux variations climatiques est ancrée dans les habitudes de vie et des stratégies ont été développées par les québécois-es pour se protéger de ces variations. Un bon exemple est la maison que l’on isole adéquatement pour atténuer les températures extrêmes, été comme hiver, et ainsi obtenir un niveau de confort agréable à l’intérieur. À l’échelle urbaine, des technologies ont été développées pour faire face à l’accumulation abondante de neige comme le démontrent les opérations de déneigement et les multiples activités de glissades et de ski. 

 

Ce n’est pas une surprise, l’hiver québécois est rude. Cependant, devons-nous obstinément attendre l’arrivée de l’été pour vivre pleinement à l’extérieur ? Le dernier hiver était particulièrement rude puisqu’en plus du confinement hivernal habituel, où la plupart des activités se font à l’intérieur naturellement, nous avons fait face au confinement pandémique. Il a alors été établi que l’extérieur était le seul lieu ‘’sécuritaire’’ pour côtoyer des personnes vivant sous un autre toit. À mesure que les températures douces se sont installées dans la région montréalaise, les québécois-es se sont empressés de sortir en “lieu sûr” pour côtoyer les amis-es et la famille.

 

Une question s’impose: les lieux publics et semi-publics sont-ils adaptés aux activités extérieures au printemps et à l’automne lorsque la température est encore fraîche? Les lieux urbains entre la maison et les parcs peuvent-ils être aménagés pour accueillir ce besoin de se retrouver dehors dans un environnement confortable malgré les aléas de la nature ?

 

L’exemple de la mobilité à vélo est frappant. On remarque que la température et la rigueur du climat ne sont pas forcément des facteurs qui influencent le niveau d’intensité des déplacements actifs en hiver. Dans plusieurs villes nordiques, l’utilisation du vélo en hiver dans est davantage affectée par l’aménagement d’un réseau cyclable que la température clémente ou la quantité de neige tombée.1 Rappelons-le, à Oulu en Finlande, on dénombre beaucoup plus de cyclistes réguliers et occasionnels en hiver que dans d’autres villes aux températures semblables. De façon similaire, l’architecture peut offrir un cadre bâti qui favorise les activités à l’extérieur même lors des saisons fraîches, soit le printemps et l’automne, par un aménagement réfléchi qui tient compte des éléments naturels selon les saisons; l’ensoleillement, les vents, la température, la végétation, les odeurs, le ruissellement de l’eau, etc.

Dans cet article sur les microclimats, nous nous intéressons à la manière dont les saisons sont vécues au quotidien en questionnant le rapport entretenu avec les aléas saisonniers, les vents frais, l’ensoleillement à travers les activités quotidiennes et les espaces semi-publics. Selon les besoins observés, le cadre bâti pourrait être amélioré pour bonifier l’expérience dans les milieux de vie pendant les saisons fraîches. Les exemples présentés ont ainsi été sélectionnés en considérant  la relation entre l’individu, l’environnement naturel et la cadre bâti.

 

 

L’amélioration par le design

Dans l’article L’aménagement hivernal, un terrain glissant paru au mois de mars 2021, nous nous sommes demandés s’il était possible d’apprivoiser l’hiver différemment et s’il était nécessaire de se confiner à l’intérieur jusqu’au printemps. La perception de vaincre l’hiver semble solidement ancrée et face à ce sentiment, nous pensons que le cadre bâti doit être adapté pour accommoder un mode vie contemporain qui soit convivial à l’hiver, voire à toutes les saisons, et pas seulement l’été. Plus précisément, nous considérons dans ce texte un mode de vie urbain qui serait attentif aux écosystèmes humain et naturel du milieu. Comment pouvons-nous concilier des milieux de vie qui se densifient en améliorant la qualité de vie et en préservant les milieux naturels ? À petite échelle, des stratégies d’aménagement peuvent agrémenter les lieux extérieurs lors des saisons fraîches et améliorer le confort des citoyens face aux intempéries pendant leurs activités quotidiennes, que ce soit sur les lieux publics ou privés. Comme il a été mentionné dans l’article du mois de mars dernier, on peut distinguer l’occasionnel et le quotidien en ce qui a trait aux activités des citoyens. Il existe d’ailleurs plusieurs exemples d’installation animant l’espace public tout au long de l’année. Le concours annuel Winter Stations design competition à Toronto, le festival Montréal en Lumière ou les Stations hivernales mises en place par la Ville de Montréal au courant de l’hiver 2020-2021 témoignent de cet intérêt envers le design et l’architecture pour animer la ville en hiver sous la forme d’activités occasionnelles. Si les installations ne peuvent pas changer la température extérieure, bien entendu, elles offrent cependant l’opportunité d’amoindrir l’effet des intempéries dans une forme et une utilisation qui anime et embellit la ville. Toutefois, le caractère temporaire de ces installations interactives et artistiques représente un attrait récréatif qui semble avoir un effet minime sur les activités quotidiennes des citoyens. Face à ce constat, il semble pertinent d’évaluer plus profondément le rôle de ce genre d’installation dans un contexte de permanence. C’est une façon de mettre la créativité des concepteurs au profit des aménagements urbains qui bénéficient aux citoyens dans leurs activités quotidiennes et non pas seulement dans une vision de divertissement. 

L’abri-jardin d’arrière-cour – Une structure simple qui offre un abri face aux intempéries (pluie et neige) en même temps qu’un toit-jardin comme second usage. L’ajout de panneaux amovibles permet de cloisonner l’espace à l’automne et au printemps afin de conserver une température agréable.

 

Notion de microclimat aménagé

Avec la notion de permanence, vient la notion de durabilité, de robustesse et de confort. En orientant la conception des espaces extérieurs dans une perspective de permanence, il apparaît d’autant plus pertinent de s’intéresser à une conception bioclimatique des microclimats locaux.  Dans le domaine de l’architecture et de l’aménagement urbain, la notion de microclimat se concentre sur la relation entre l’individu, l’environnement naturel et le milieu bâti à proximité.2 Contrairement aux microclimats créés par la géomorphologie des territoires qui sont étudiés dans d’autres domaines comme la géographie, le microclimat aménagé est largement altéré par les citoyens à l’aide de plantations et de constructions (installations, parcs, bâtiments, ensemble urbains, etc.). En milieu urbain, les microclimats aménagés représentent une façon ingénieuse de mitiger les intempéries avec des installations qui ont le potentiel à la fois d’améliorer le confort des citoyens et d’animer l’espace public. En fait, il s’agit de tirer profit des éléments naturels plutôt que de les nier. Il est reconnu qu’avec des conditions d’aménagement optimales et un habillement adéquat, il est possible de se sentir confortable sans faire d’exercice même à des températures sous les 10 degrés. On pense notamment à un endroit ensoleillé, à l’abri des vents où la chaleur peut être conservée minimalement. Pour les architectes et designers, c’est aussi une façon de créer des ambiances qui agissent sur les sens à l’aide des éléments naturels. On pense notamment à l’attraction visuelle, aux sons entendus, aux odeurs perceptibles et aux matières que l’on peut toucher.

À notre avis, il est primordial que les architectes et les designers urbains s’attardent de plus en plus à ces ambiances dans la conception afin d’intégrer la nature en ville. L’atmosphère créée par les microclimats aménagés offre un potentiel riche pour adapter les milieux urbains en tirant profit des conditions climatiques variables.

 

Imaginons un placotoire baigné par le soleil dans une rue étroite bordée par des arbres. Un lieu pour s’arrêter et s’adonner à des activités urbaines banales mais largement pratiquées: prendre une bouchée, discuter avec des amis-es, observer les passants, jouer aux cartes, etc. Pensons à ce qui rend ce genre d’endroit agréable. Le soleil qui frappe les matériaux comme la pierre, la brique, le béton et le bois permet d’augmenter la température ambiante à condition que la chaleur puisse rester un peu ou se dissiper tranquillement. Les arbustes en bordure peuvent servir d’écran contre les vents et ainsi aider à conserver la chaleur du soleil sur place. En hiver, les conifères peuvent également jouer ce rôle en plus de garder une touche de verdure quand l’environnement est plutôt blanc et gris. La sélection des matériaux, l’attention accordée aux détails de finition, les espèces de végétaux choisis et le style de mobilier affectent également l’ambiance du lieu. Outre les matériaux, le soleil et les vents, d’autres aspects sont aussi à considérer dans la création de microclimats, notamment le bruit ambiant et les odeurs. Dans l’exemple du placotoire, l’écran de végétaux agit aussi comme barrière acoustique, alors qu’au printemps, avec la nouvelle floraison, on peut facilement capter des odeurs provenant des plantations ou des plats consommés; le sentiment de se trouver dans un petit havre commence à apparaître.  Un réel oasis pour les sens qui permet aux citoyens d’apprécier leur activité à l’extérieur lors des saisons fraîches typiquement québécoises.

Lieux semi-publics

On a tout intérêt à donner la place aux professionnels architectes et designers dans l’aménagement des espaces partagés à l’extérieur. En ville, ces endroits entre la maison et l’espace public sont restreints et plus ou moins définis. C’est-à-dire qu’ils sont plutôt résiduels; c’est l’espace entre le bâtiment et la ruelle, l’espace entre la rue et la porte d’entrée ou l’espace devant la façade d’un commerce. Généralement, ces lieux sont qualifiés “semi-privés” s’ils se situent sur le terrain privé d’un citoyen ou d’une organisation, et sont qualifiés “semi-publics” s’ils se situent sur le domaine public, sans nécessairement avoir un usage particulier. Au-delà de la propriété légale, les lieux semi-publics sont propices à l’appropriation par les citoyens. À Montréal, on peut voir certaines situations qui démontrent l’engouement pour des aménagements sur l’espace public en été. La terrasse d’un restaurant aménagée sur le trottoir ou dans une place de stationnement est un bon exemple de ce type d’appropriation estivale sur l’espace public par une organisation commerciale. À chaque année on voit des centaines de terrasses aux styles variés qui sont bâties lorsque l’été arrive, mais elles sont démontées l’automne venu. Les programmes des rues piétonnes et celui des aménagements temporaires et transitoires de l’espace public de la Ville de Montréal permettent également aux organisations d’utiliser une portion de rue et d’y changer la vocation pour que les citoyens profitent de cet espace différemment. À titre d’exemple, la Place Shamrock dans la Petite-Italie offre des qualités spécifiques aux microclimats: un ensoleillement généreux, des arbres et des parasols pour apporter de l’ombre, un écran de végétation entre la rue et la place, des bancs et des tables pour s’arrêter, des installations sanitaires et des installations artistiques. Cette place est d’ailleurs utilisée par les passants toute l’année, peu importe la saison.

1- Terrasses sur la Plazza Saint-Hubert, Montréal / 2- Installation ludique sur la rue Ontario, Montréal  / 3- Aménagement de la Place Shamrock, Montréal  / 4- Installation lumineuse pour pallier au manque d’ensoleillement, Lahti, Finlande / 5- Abri-bus chauffé du RTC, Québec  /  6- Ruelle végétalisée, Montréal  / 7- Place éphémère sur la rue de Dijon, Montréal

A-t-on intérêt à promouvoir l’aménagement de microclimats dans la ville ? L’utilisation abondante des installations estivales par les Montréalais et Montréalaises porte à croire que oui. Maintenant, il reste à envisager ces aménagements pour que leur utilisation se prolonge jusqu’à l’arrivée de la neige et ainsi apprécier la ville sous toutes ses couleurs. La nature offre des spectacles fascinants, qui à chaque saison, devraient être magnifiés plutôt qu’être écartés. Pour le concepteur, c’est un moyen d’observer attentivement le lieu d’intervention et d’opter pour une réponse adaptée aux conditions du site d’implantation. N’oublions pas que la végétalisation des villes est un enjeu important des prochaines décennies pour lutter contre les îlots de chaleur, le smog et la perte de biodiversité. Les microclimats aménagés devraient être une réponse à ces défis considérant que de telles installations misent sur l’interaction entre l’individu, l’environnement naturel et le cadre bâti dans une proposition au design créatif, animé et réfléchi.

L’équipe du blog

Notes

1_ WWF Scotland. 2016. Year-round cylcling, Oulu, Finland.

2_ André Potvin, Claude MH Demers. 2003. L’approche bioclimatique en architecture. Revue Esquisses, 2003, V14-no.2.

Références supplémentaires

Joannie Brouillard. 2011. Confort urbain extérieur [CUE], un modèle de jardin communautaire pour la quartier centre-sud de Montréal. Université Laval.

 Guillemette, Myriam. 2021. “Étude De L’hivernité Urbaine, Analyse D’Un Récit De Construction Identitaire Montréalais” (20210209).